La venue du Coronavirus nous a fait nous découvrir fragiles : un petit virus a tout déglingué : nos corps, notre économie, nos institutions, nos relations, le sentiment puissant éprouvé par nos sociétés grâce à la technique, l’argent, le capitalisme ! La conscience majeure que nous vivons est celle-ci : l’homme, au fond, est fragile…
nous devenons plus humains, plus ouverts, plus aimants
C’est l’écho qu’en donne le priant du psaume 32 : « Le salut d'un roi n'est pas dans son armée, ni la victoire d'un guerrier, dans sa force. Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut. » (Psaume 32). Saint Paul le redit : « Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber! » (1 Co. 10 : 12)
Il ne faut pas se réjouir des humiliations apportées par ce virus, car beaucoup en souffrent cruellement, mais il faut se réjouir de cette fragilité humaine re-découverte au milieu des postures froides, sèches et toutes puissantes de nos institutions, de notre marché capitaliste, de nos mœurs égocentriques. Cette fragilité qui nous constitue. Enfin nous devenons plus humains, plus ouverts, plus aimants ! Puisse cela durer !
Cette mutation spirituelle fait écho à ce qui dit et fait notre Maître, Jésus. Écoutons quelques phrases sorties de sa bouche : « Quel avantage, en effet, un homme a-t-il à gagner le monde entier si c’est au prix de sa vie ? Que pourrait-il donner en échange de sa vie ? » (Marc 8, 36) « Nul ne peut servir deux maîtres… vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (Matthieu 6, 24)
la force de la fragilité
Regardons encore Jésus. Une force énorme se dégage de sa fragilité. A ne regarder que la Passion que nous revivons cette Semaine Sainte, voici quelques versets autour de ce moment de fragilisation maximale où il est pieds et poings liés à ses détracteurs… Alors que Judas le livre aux chefs des prêtres en l’embrassant, il lui dit : « mon ami, fais ta besogne » (Matthieu 26, 50) ! Quelle force ! Dans le procès devant le grand-prêtre, un garde le gifle en disant : « c’est comme cela que tu réponds au grand prêtre » et Jésus debout répond : « si j’ai mal parlé, montre en quoi ; si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jean 18, 22). Alors qu’il est mis en croix, un des malfaiteurs l’injurie, l’autre lui tend une main : « Jésus, souviens toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » et Jésus dit : « Aujourd’hui avec moi, tu seras en paradis » (Luc 23, 43) Aux gens qui le ridiculisent, il prie : « Père, pardonne-leur, il ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Force spirituelle maximale !
Fragilité maximale, puissance spirituelle maximale. Quel en est le secret ? Au cœur de la fragilité de cet homme qui va être brisé, existe une âme habitée par le Père jusqu’au bout : « je ne suis pas seul, le Père est avec moi » (Jean 16, 32), « je vais au Père et vous ne verrez plus » (Jean 16 10).
Sa mort a été la mort d’un homme fragilisé par les coups et habité par le Père. Dieu le Père pouvait-il laisser son Fils bien aimé dans la mort. Non ! Saint Pierre le dit aux juifs rassemblés : « Cet homme, vous l’avez livré et supprimé en le faisant crucifié par la main des impies, mais Dieu la ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Actes 2, 23)
Quand une société rencontre la fragilité et en fait l’expérience (virus, maladie, chômage), c’est au départ une humiliation. Et deux réactions sont possibles : soit nous nous fermons dans l’amertume et la colère, soit nous nous ouvrons à ‘autre chose’, sans savoir trop quoi au début. Les Chrétiens doivent être les témoins que la fragilité n’est pas une malédiction, mais est un lieu de résurrection comme pour Jésus, un lieu de renaissance à la Vie à condition de tenir à Dieu, de regarder Jésus, de laisser habiter en nous l’Esprit saint.
Saint Paul le sait. Alors qu’il a une fragilité (non précisée dans la bible) et que c’est pour lui une écharde dans sa chair, il demande à Dieu de l’en guérir, il entend : « ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 12, 9) un autre texte de cette même lettre : « Frères, nous portons le trésor de l' évangile dans des vases d’argile et nous faisons en tout temps dans notre corps l’expérience de mort de Jésus. Nous sommes accablés de toutes sortes de souffrances, mais non pas écrasés ; inquiets, mais non désespérés ; jetés à terre, mais non anéantis. Car nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi, AVEC JESUS, et il nous placera près de lui avec vous. C’est pourquoi, ne perdons pas courage. (2 Co 4, 14)
Les chrétiens sont invités à bien lire l'évangile comme le suggère François Varillon théologien (1905-1978) : « On est toujours mal converti. On oscille entre deux images du divin
que l’on concilie tant bien que mal, faute de savoir les unifier : l’image de la Toute-Puissance païenne, dominatrice, et l’image de la Toute-Impuissance du Christ cloué qui agonise et qui meurt.
Il faut donc poursuivre à longueur de jours et d’années une méditation proprement chrétienne qui nous persuade en profondeur que c’est la Toute-Impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature
de la Toute-Puissance de Dieu, de l’Être éternel et infini. On dit parfois : Dieu peut tout ! Non, Dieu ne peut pas tout, Dieu ne peut que ce que peut l’Amour. Car il n’est qu’Amour » (Joie
de croire, Joie de vivre, p.25).
p. Jean Michel Moysan