Je comprends les personnes dont les souffrances sont intolérables et qui demandent la mort, car elles n’en peuvent plus… je comprends les personnes enfermées dans une maladie grave et invalidante et qui demandent la mort… Je comprends les proches d’une personne en état végétatif chronique depuis 20 ans et qui passent leur temps au chevet muet de leur proche… ils demandent la mort : n’est-ce pas inhumain de le refuser ?

Je comprends… mais une voix résonne en même temps dans ma conscience : « c’est un homme ! » tu ne le tueras pas, tu ne porteras pas la main sur un homme souffrant (même s’il le demande), tu n’aideras pas la personne à coopérer à sa mort en allant chercher pour lui des substances... ! Voilà ce qu’on appelle le combat spirituel ! C’est le combat spirituel personnel de médecins accompagnant la souffrance et qui ne se résolvent pas à laisser tomber, car ils ont prononcé le Serment d’Hyppocrate. C’est le combat spirituel de la famille qui en a marre, chez qui la voix de l’interdit s’étouffe, mais qui reprennent courage… c’est la voix des amis qui refusent d’accueillir comme une demande sacrée la demande ‘libre’ de mort d’un des leurs ! Bref, ils refusent de céder !

Mais à l’inverse, c’est aussi le combat perdu d’une société qui ne veut plus voir la souffrance de milliers de personnes qui souffrent en silence dans les EHPAD et qui favorise leur mort sociale et leur mort physique. Mais la voix de la conscience existe et elle résonne… elle a résonne dans la conscience de Robert Badinter en 1981 se battant pour l’interdit de la peine de mort, alors que la majorité des français y était favorable.Elle résonne aujourd’hui dans l’interdit du féminicide, dans l’interdit de toucher sexuellement les enfants, dans l’interdit de l’abus relationnel, spirituel et sexuel sur adultes…

L’interdit de tuer son frère résonne toujours comme une de ces « choses cachées depuis la fondation du monde » (Matthieu 13, 35), ces choses fondamentales qui appelle dans l’âme à la dignité… « qu’as-tu fait, dit Dieu à Cain qui venait de tuer Abel… La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. » L’interdit est comme une prophétie, un cri de Dieu vers l’âme humaine ! la Bible le montre où Dieu lui-même devient violent face aux violents : « Celui qui frappera un homme mortellement sera puni de mort. » (Lévitique 24, 17)… la violence est intolérable… Mettre à mort quelqu’un frôle toujours la violence…
Nous allons institutionnaliser cette violence qui deviendra un acte loué et béni, car ‘libre’… Ensuite, il se peut que l’économique prendra le pas, que l’intimation plus ou moins sourde à un proche qu’il est de trop trouveras ses mots les plus pervers, que la fraternité aura ses coups de canifs les plus incisifs ! Mais rappelons aussi qu’ il ne suffit pas d’interdire de tuer, car avec l’interdit ‘tu ne tueras pas’ résonne aussi l’autre interdit : « tu n’abandonneras pas le souffrant »… d’où l’obligation de la fraternité que les évêques français livrent dans leur textes. Ne laissons pas étouffer ces voix de la conscience ! c’est notre humanité collective qui est en jeu !
+ Père Jean-Michel MOYSAN, Curé